Le billet Le billet

Lorsqu’en 2016, il était venu à Strasbourg s’adresser aux parlementaires européens, le pape François avait évoqué cette « Europe grand-mère, non plus féconde et vivante ». L’Europe, qui devrait avoir la soixantaine frétillante, a du mal à séduire. On nous annonce une abstention record. Pourtant, née sur les décombres de guerres mondiales, elle avait suscité l’espérance en un monde de paix, plus solidaire et fraternel. Aujourd’hui, la flamme vacille.

Il faut dire qu’en six décennies, cette grand-mère a multiplié les occasions de prendre des rides. D’abord, l’intégration des Britanniques, dont les gouvernants successifs n’ont cessé de freiner les ardeurs des autres. Les crises pétrolières des années 1970, l’inflation et le chômage qui s’ensuivirent, et cette tentation récurrente des gouvernants de mettre sur le dos de Bruxelles la rigueur budgétaire. Dans les années 1980, les élections de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher, puis la mise en place de politiques libérales vont miner les fondements keynésiens de la construction européenne — la Pac en particulier —, que la mondialisation accélérée achèvera. En 1989, la chute du mur de Berlin a modifié les équilibres subtils, avec un renforcement de la puissance de l’Allemagne, que les élargissements vers les pays de l’Est ont consolidé. Le marché unique puis l’euro ne suffiront pas à enrayer le scepticisme des Européens. D’ailleurs, en 1992, en passant de Communauté à Union européenne, l’Europe a semblé oublier la part de fraternité qui présidait à l’élaboration du Traité de Rome. Plus tard, la crise financière de 2008 montrera les limites de la solidarité, que l’arrivée de migrants ne fera qu’accentuer, dans une Europe plus tentée par la construction de murs que de ponts, sous la pression de puissants mouvements populistes ou souverainistes. Et pour couronner le tout, le Brexit, avec ce paradoxe que les Britanniques vont élire des parlementaires européens !

Que d’incohérences ! Et pourtant, face aux enjeux géopolitiques et environnementaux vitaux, on a plus que jamais besoin d’Europe…